Beau bilan pour les quinze ans de la génomique
La génomique a profondément modifié la sélection dans les troupeaux laitiers. Retour sur cette épopée, des premiers index génomiques des taureaux au génotypage quasiment généralisé des femelles, en passant par l’indexation de nouveaux caractères.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
C’est en 2001 qu’est né le concept de la sélection génomique, c’est-à-dire l’estimation du potentiel génétique d’un animal grâce à des marqueurs génétiques. « Ces marqueurs donnent des informations sur le génome », rappelle Sébastien Fritz, ingénieur chez Éliance, co-animateur de l’unité eBis. L’intérêt était évident pour les bovins en raison de la longueur des protocoles de testage. Souvenez-vous : les taureaux n’entraient en service que vers l’âge de 6 ans. En outre, les performances ne pouvaient être mesurées que sur les femelles en races laitières, et celles-ci n’étaient pas connues sur les caractères peu héritables, comme les fonctionnels.
Des outils pour lire le génome
En 2008, l’arrivée d’une puce Illumina de 54 k, capable de lire 54 000 marqueurs, rend le concept réaliste. Il devient en effet possible de couvrir l’ensemble du génome bovin. « Le principe consiste à estimer les effets d’une région chromosomique du génome à partir d’une population de référence composée d’animaux pour lesquels on dispose des informations génomiques et phénotypiques », précise Sébastien Fritz. On peut ensuite appliquer ces effets à des animaux dont on ne connaît que le génotype, ce qui permet d’estimer leur valeur génétique. La fiabilité (coefficient de détermination ou CD) dépend de la taille de la population de référence et de l’héritabilité du caractère. Elle peut être supérieure à celle obtenue par le testage. Les chercheurs ont donc commencé par mettre en place de grandes populations de référence afin d’augmenter les CD et donc l’intérêt de la sélection génomique. Les démarches ont démarré à l’échelle française puis se sont poursuivies à un niveau plus large pour les races internationales grâce à la création de consortiums. En holstein, la base Eurogenomics a vu le jour en 2009. Elle comprenait au départ 16 000 taureaux génotypés et connus sur descendance.
Doubler le progrès génétique
Six ans plus tard, cet effectif avait presque doublé pour atteindre 30 000. La race brune a également créé une population internationale en 2010, Intergenomics. Dès 2009, des travaux (Colleau et al.) avaient montré que la sélection génomique pouvait permettre de développer le progrès génétique en raccourcissant les intervalles de générations, d’une part, et en augmentant le progrès sur la voie femelle d’autre part. Cependant, son utilisation nécessite de se montrer vigilant sur la variabilité. Cela implique de ne pas trop réduire le nombre de taureaux utilisés et de s’en servir de manière homogène. De plus, les taureaux déjà utilisés sur leurs index génomiques sont à éviter une fois qu’ils sont confirmés. Progressivement, à partir de 2009, la sélection a pu se passer du testage, et dès lors gagner du temps. « Au départ, génotyper un animal coûtait cher. Pour développer la sélection génomique, il était nécessaire de massifier le génotypage ce qui impliquait de rendre son prix acceptable », poursuit Sébastien Fritz.
En 2011, l’usage d’une puce Illumina de basse densité s’est généralisé grâce à son coût réduit. Elle a permis d’augmenter considérablement le nombre de génotypages, mais il a fallu trouver des techniques pour compenser ses performances moindres. En effet, elle ne lit que 7 000 à 10 000 marqueurs, contre 50 000 pour une puce de moyenne densité. Les scientifiques ont eu recours à l’imputation, qui se définit comme l’art de deviner les parties manquantes. Celle-ci est d’autant plus fiable que le nombre d’animaux typés est élevé dans la population de référence.
Génotypage massif dans les troupeaux laitiers
Le tarif du génotypage pour les éleveurs a été divisé par quatre depuis 2010. Cela a permis son essor. Aujourd’hui, pour la plupart des races laitières et pour les trois principales races allaitantes (1), la précision a atteint des niveaux permettant de travailler sur les principaux objectifs de sélection.
Jusqu’en 2017, le génotypage concernait essentiellement les mâles. Depuis, ce volume est resté stable alors que le nombre de femelles typées a considérablement augmenté. En 2023, près de 3 millions d’analyses sont disponibles dans Sigeno, une base de données qui les centralise. 93,5 % ont été réalisées sur des bovins de race laitière. Aujourd’hui 40 % des génisses laitières génotypées le sont avant l’âge de 3 mois, contre 5 % en races allaitantes.
Mais la génomique donne aussi accès à ce que l’on appelle des services associés. Il s’agit, par exemple, de repérer la présence de gènes d’intérêt. Le plus connu est le P (pooled : sans cornes) et, progressivement, les taureaux porteurs ont pu monter de plus en plus haut dans les classements. Il en existe d’autres, concernant le type de caséines ou encore la résistance à la chaleur (SL : slick). Par ailleurs, la génomique permet d’effectuer des contrôles de filiation, ou de repérer la présence d’anomalies génétiques. Des tests sont ainsi régulièrement ajoutés au génotypage, au fur et à mesure que ces anomalies sont caractérisées.
Sélectionner sur la santé
Au début, le génotypage ne concernait que les caractères historiquement indexés. Dès 2015, des projets de recherche impliquant l’UMT eBis ont émergé dans le but de constituer des populations de référence sur de nouveaux caractères. La santé était particulièrement ciblée. Pour sélectionner des animaux plus efficients, il semblait nécessaire de mieux évaluer leur sensibilité aux lésions podales, à la paratuberculose et à diverses maladies. Progressivement, cette démarche s’est étendue à la résistance au stress thermique ou encore aux émissions de méthane. Elle s’intéresse également à la qualité des produits, la fromageabilité du lait ou le persillé de la viande, notamment. Tous ces caractères présentent le plus souvent une héritabilité faible et il n’aurait pas été possible de les améliorer sans la génomique.
Les sélectionneurs ont généralement cherché à maintenir le progrès sur les caractères déjà sélectionnés. Mais parallèlement, les objectifs de sélection ont évolué pour inclure les nouveaux caractères. Le progrès se répartit ainsi entre un plus grand nombre de postes ce qui réduit de fait le poids des caractères d’origine. En race holstein, par exemple, l’Isu de 1992 accordait un poids de 70 % à la production, 25 % à la morphologie et 5 % à la vitesse de traite. Dans sa version 2024, ces trois postes pèsent respectivement 37, 15 et 7 %. La reproduction, la santé de la mamelle et la santé du pied sont entrées dans cet index de synthèse et représentent respectivement 20, 13 et 6 %.
L’histoire se poursuit. La recherche se penche désormais sur l’épigénétique et le microbiote. Nul doute que, dans les années qui viennent, de nouvelles applications arriveront dans le quotidien des éleveurs, toujours dans l’objectif de faire naître des animaux plus efficients et résilients.
(1) Prim’holstein, montbéliarde, normande, brune, abondance, tarentaise, simmental, vosgienne, charolaise, limousine et blonde d’Aquitaine.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :